Innovation en première ligne, Charlie Perreau, Les Echos

Charlie Perreau citation

Charlie Perreau est cheffe de service aux Echos, où elle gère la production éditoriale de la rubrique start-ups, orchestrant la planification des publications et la coordination de son équipe. Elle rédige quotidiennement des articles, contribuant significativement au contenu dédié aux start-ups du journal.

Parallèlement, Charlie Perreau est activement engagée sur les réseaux sociaux, en particulier sur LinkedIn, où elle partage régulièrement des contenus du journal et d'autres sources pertinentes. Elle y a développé des formats originaux, comme la publication hebdomadaire de portraits de fondatrices de start-up et une newsletter hebdomadaire sur la French Tech.
Enfin, elle contribue également à accroître la visibilité du service en participant en tant que modératrice à divers événements technologiques et de start-ups. Depuis la fin de l'année 2023, Charlie Perreau anime aussi une émission sur BSMART, où elle interviewe des dirigeants d’entreprises élargissant ainsi son influence et son réseau professionnel.

Dans cet article, elle met à profit son expérience et son acuité journalistique pour nous offrir une analyse approfondie de la French Tech. Son regard avisé sur l'IA et le Big Data apporte un éclairage novateur sur les enjeux et les perspectives de cet écosystème en pleine expansion.

Quel est votre bilan de l'année écoulée pour les start-ups de la French Tech, en particulier en matière d’intelligence artificielle et de big data ?

En examinant l'année écoulée, notamment du point de vue des start-ups, plusieurs observations se dégagent. 2023 n'a pas été la meilleure année pour la French Tech, avec une baisse de 38% des levées de fonds par rapport à l'année précédente, totalisant seulement 8,3 milliards d'euros. Cependant, il est important de noter que les deux années précédentes ont été marquées par une activité exceptionnelle, rendant la comparaison plutôt difficile. Malgré cette baisse, par rapport à 2020, les levées de fonds ont augmenté de 54%.

2023 a été une période compliquée pour de nombreuses startups, avec une augmentation des licenciements et des plans sociaux, ainsi qu'une augmentation des faillites et des procédures collectives. Malgré cela, le nombre d'acquisitions de start-ups atteint un niveau record, bien que les prix d'acquisition aient été moins élevés qu'auparavant.

Cette situation découle des années 2021 et 2022, où une quantité considérable d'argent a été injectée dans l'écosystème des startups. À cette époque, les investisseurs incitaient fortement celles-ci à dépenser ces fonds, ce qui a conduit à d'importantes vagues d'embauches. Étant donné que la plupart des start-ups se concentrent sur des solutions logicielles, elles ont recruté massivement du personnel. Cela a entraîné la création de couches managériales superflues, avec des postes comme celui de vice-président, qui se sont avérés en fin de compte non nécessaires. De plus, ces postes étaient souvent associés à des salaires élevés. Aujourd'hui, lorsque les start-ups doivent effectuer des réductions de coûts, elles optent rapidement pour la suppression de ces postes à haut salaire.

L'impact de l'intelligence artificielle est à prendre en compte aussi car elle a également affecté certaines start-ups en remplaçant certains emplois par des solutions basées sur l'IA. Nous avions déjà observé cette tendance, mais elle est désormais amplifiée avec l'avènement de ChatGPT et d'autres technologies similaires.

Malgré ces défis, je constate que le secteur des start-ups demeure dynamique, avec un nombre croissant de nouvelles créations et un financement relativement accessible pour les start-ups en phase initiale. En plus de cela, la présence d'anciens entrepreneurs réinvestissant dans de nouvelles entreprises témoigne du potentiel continu du secteur. En ce qui concerne l'IA et le Big Data, on observe une transition vers des start-ups deeptech et industrielles, ce qui reflète une maturité croissante de l'écosystème technologique français.

Comment envisagez-vous les années 2024 et 2025 pour le secteur ? Anticipez-vous une période de maturité et de stabilité durant ces années ?

Il y a beaucoup de facteurs à prendre en compte pour 2024, mais cela ne signifie pas pour autant un départ sur les chapeaux de roues dès le changement d'année. Les deux premiers trimestres seront probablement difficiles. Un indicateur important est de regarder ce qui se passe aux États-Unis, car nous avons souvent quelques mois de décalage avec eux. Actuellement, le contexte n'est pas exceptionnel.

Il est essentiel de voir une augmentation des marchés publics, ce qui semble s'améliorer un peu, mais il est important de noter que la croissance est principalement portée par de grandes valeurs telles que NVIDIA et Apple. Lorsque ces grandes entreprises voient leur valeur augmenter, cela se répercute ensuite sur les start-ups, puis se manifeste en Europe.

Actuellement, il n'y a pas beaucoup d'introductions en Bourse, ce qui suggère que cela ne se produira peut-être pas de sitôt.

Cependant, ce qui est intéressant, c'est que nous sommes en train d'entrer dans une nouvelle ère. Pendant une décennie, la French Tech a été fortement axée sur le numérique, avec de nombreuses plateformes, logiciels et marketplaces. Depuis un an, nous avons vu un changement vers des start-upsaxées sur la transition écologique, les greentech, ainsi que des start-upsindustrielles et deeptech, qui représentent des innovations de rupture telles que le quantique, la cybersécurité et le spatial.

Les investisseurs commencent à financer davantage ce type d'entreprises, bien que ce soit plus complexe en raison des besoins accrus en recherche et développement et d'un retour sur investissement plus long.

Aujourd’hui, une attention particulière est portée sur les progrès réalisés dans le domaine de l'IA, notamment avec des entreprises comme OpenAI et le développement d'algorithmes propriétaires.

On constate des entreprises qui réussissent aux États-Unis, mais qu'en est-il du marché français ? Existe-t-il réellement des licornes de l'IA françaises ?

En réalité, la situation est assez simple : pour réussir dans le domaine du Big Data et de l'IA, il est essentiel d'être présent sur un marché important, et si vous restez confiné en France, vous ne pourrez jamais vraiment décoller. C'est pourquoi on peut citer l'exemple de Hugging Face. Bien qu'ils aient un bureau à New York et que leur siège social soit désormais là-bas, une grande partie de leur activité de développement technologique se trouve toujours en France. Mais pour vendre à de grandes entreprises, il est nécessaire d'être aux États-Unis, où elles sont beaucoup plus réceptives et où les cycles de vente sont plus courts. C'est pourquoi Hugging Face est un bon exemple de cette stratégie. On peut également mentionner Dataiku et Aircall, qui ont déplacé son siège à New York et connaissent un grand succès.

Mais qu'est-ce qui pousse ces entreprises à devoir partir aux États-Unis ? Quelles sont les principales différences ?

La principale raison est simplement la taille du marché. Quand on compare la France aux États-Unis, il n'y a vraiment pas photo. New York est un exemple parfait, car c'est là que se trouvent la plupart des grands groupes. S'installer là-bas offre donc de nombreuses opportunités.

Est-ce plus facile ?

C'est certainement plus facile d'aller là où sont les opportunités, c'est vraiment une question de taille du marché.

De plus, les États-Unis sont plus avancés sur tous les sujets tech. Bien sûr, nous avons des avancées notables en France dans le domaine de l'IA, mais des entreprises comme OpenAI, situées en plein cœur de la Silicon Valley, sont à la pointe de l'innovation.

Pour enrayer les départs de nombreux talents vers la Silicon Valley, Xavier Niel a lancé un laboratoire français dédié à l'IA. Que pensez-vous de cette initiative ?

Bien que la tâche soit ardue, l'initiative lancée par Xavier Niel est indéniablement impressionnante. Le fait qu'il ait établi une fondation à but non lucratif est un geste particulièrement remarquable et peu fréquent chez les milliardaires en France.

Nous ne pouvons que nous en réjouir. C'est encourageant de voir émerger de belles initiatives comme Kyutai et de constater que ce laboratoire offre un modèle différent. Il se concentre uniquement sur la recherche, ce qui est crucial. De plus, il attire des talents à Paris, ce qui est bénéfique pour l'écosystème français. Nous voyons d'ailleurs des talents venant des grandes entreprises technologiques comme Google et Facebook prendre part à ces projets. Cela crée un véritable élan pour l'innovation en France.  Naturellement, certaines voix critiques souligneront l'insuffisance des investissements.

Quelle est votre analyse du concept et des méthodes de promotion de Mistral AI, surtout après leur importante levée de fonds ?

Effectivement, ils en sont aux prémices. Mais leur vitesse de développement est impressionnante, surtout que c’est une petite équipe comparée à OpenAI. En plus de leur plateforme qui permet aux développeurs de concevoir leurs propres solutions utilisant l'intelligence artificielle générative, ils ont lancé Le Chat, concurrent de ChatGPT. Les résultats ne sont pas encore au niveau d’OpenAI mais cela permet de mettre l’outil dans les mains de M. et Mme Tout-le-monde.

L'orientation vers l'open source distingue également leur démarche de celle d'entités comme OpenAI, facilitant la contribution des développeurs à l'évolution du modèle. Ce choix stratégique pourrait particulièrement séduire le marché européen, où il y a une préférence marquée pour collaborer avec des entités régionales. Cependant, le modèle open source n’est pas tenable financièrement, c’est pourquoi ils ont commencé à sortir également des modèles fermés.

Pour conclure cet article, pourriez-vous partager des insights sur les entreprises qui, selon vous se distinguent aujourd’hui dans le secteur de l'informatique quantique ?

Bien que je ne sois pas une experte en la matière, il est clair que certaines entreprises se distinguent dans le domaine de l'informatique quantique. Parmi elles, Pasqal s’est faite remarquée par une levée de fonds record en Europe (100 millions). Alice & Bob et Qandela sont également des acteurs notables à surveiller. Il y a aussi des start-ups plus spécialisées comme VeriQloud qui a développé une solution qui permet de se relier à la fibre optique pour assurer le dernier kilomètre de communication. Toutes ces sociétés bénéficient de talents et chercheurs de haut niveau. Enfin, de plus en plus de fonds osent investir dans ces business à l’image du Français Quantoniation.

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